Des noms, des bruits de pas et les hurlements du vent. C'est tout ce qu'on trouvait au Cimetière, surtout en pleine nuit. Mais il y a des fois où on est même pas sûrs de chercher quelque chose.
Laquatus passa devant une tombe terni par un vieux morceau de viande à moitié dévoré qu'on avait laissé là. Il le ramassa et le balança au-dessus du mur d'enceinte qui entourait le Cimetière.
La chair encore saignante n'a pas sa place ici.
A l'aide de sa manche, il essuya les tâches qui restaient sur la tombe et put enfin lire l'inscription dessus.
Ci gît un brave soldat anonyme.
Un seigneur qui entretient la tombe d'un vulgaire soldat inconnu, c'est la cerise sur le tombeau.
En souriant , il continua à marcher le long des tombes et des morts. Le cimetière était immense, peut-être même que, paradoxalement, une vie ne suffisait pas pour le visiter dans son ensemble. Mais Laquatus se moquait de son temps comme de sa pseudo-vie. D'une démarche lente et légère, Laquatus continuait sa promenade laissant aller ses pensées.
C'était au milieu des morts qu'il se sentait chez lui, au milieu des morts qu'il se sentait vivre, au milieu de ces corps en décomposition qu'il se sentait presque jeune.
La lassitude de ce monde le quittait une fois qu'il était dans ce lieu.
Après tout il savait que quelque part entre les morts, quelque part entre ces tombes, il y aurait dû avoir celle à son nom et son corps sans vie à l'intérieur.
Mais le destin avait fait qu'il s'était relevé, il ne savait même plus comment, il avait fini par oublier la majorité de sa vie antérieure.
Aujourd'hui, il était quasiment le seul à chérir la mort, et même à l'espérer la plupart du temps. Le seul à ne plus craindre de s'éteindre à jamais, le seul à ne plus se morfondre de l'irréversible.
Laquatus était le dernier à parler de la mort comme sa promise qui viendrait le chercher un jour.
Un mort parmi les vivants : le dernier Mort-Vivant.
Comme un bateau perdu au large, Laquatus avait longtemps dérivé au sein des hommages de marbre construits pour tous ces "tué au combat", "mort empoisonné", "mort dans son sommeil", "mort de faim"etc.
Fatigué, il décida de s'asseoir. Il n'avait pas mangé depuis plusieurs jours. Et ce n'était pas ici qu'il se rassasierait, c'était d'ailleurs une des raisons de sa venue.
Assis, le vent glacial traversait son corps frêle et affamé.
On dit que rien ne vaut la chaleur d'un foyer, moi je dis que rien n'égale la froide tranquillité d'une tombe.
Il resta là toute la nuit à attendre, sans dormir, car il savait que s'il s'endormait il ne supporterait pas, le lendemain, d'être le seul à pouvoir se remettre debout parmi ces milliers... d'amis ?
Ainsi il resta là, à ne rien regarder, à ne penser à rien et à attendre en vain que quelqu'un qui lui ressemble vienne dans ce cimetière.