Rencontre - Un avenir révélé

Eschelius s'était assoupi sur un banc des jardins. Le brouhaha ambiant l'avait bercé et le voyage de la matinée avait achevé l'œuvre.

Mais le temps passait et il ne devait pas oublier ce pourquoi il était venu ici : rencontrer le Doux ou un de ses intendants et lui proposer ses services afin de redonner au blason familial, son éclat d'antan. Mais, plus il s'approchait de la fin de son périple, plus la vision d'un autre à venir le tourmentait, le faisant parfois douter du bien fondé de cette "curieuse lubie" comme il aimait l'appeler...
Etait-ce le bon choix ? Ne devait-il pas se contenter de gravir les échelons comme le paysans qu'il était devenu ? Entrer dans la Garde, puis après des dizaines d'années et de multiples blessures, devenir écuyer et enfin Hastrateur pour rêver, au crépuscule de sa vie, devenir intendant... Après tout, il risquait de s'ouvrir une destinée trop dure et incontrôlable, où il n'aurait pas eu le temps de se préparer à la tâche qui l'attendait.

Le sommeil porte conseil dit-on et cela se confirma pour le cas d'Eschelius, qui vit que son envie de servir l'Hangrateur était plus forte que la peur de faillir et d'être déçu par la tâche qui l'attendait.
A son réveil, encore étourdi par les réminiscences de la courte sieste octroyée un peu contre son gré, il manqua de choir en se levant, il tituba légèrement et reprit une position droite et son allure fière. Si ses vêtements avaient été plus riches, il aurait put passer pour un noble de la cité mais ses frusques traduisant honteusement sa fonction sociale... Enfin... il s'agissait de ses plus beaux habits, ceux qu'il sortait occasionnellement pour les fêtes campagnardes de la région...

Il se dirigea finalement vers le palais, la démarche sur, l'œil rivé sur son objectif, ce décorum parfait, douce harmonie de marbre blanc veiné de gris et de dorures à l'élégance flamboyante. Arrivé près du perron, son souffle se coupa. De part l'impressionnante bâtisse certes, mais également du fait qu'il arrivait quasiment à la fin de sa quête, l'aboutissement de plusieurs années d'entrainement et de perfectionnisme.

Il fut arrêté par des gardes, qui lui demandèrent la raison de cette visite, ils devaient se demander ce qu'un gueux pouvait bien faire ici...

" Je viens demander audience au Doux ou un de ses conseillers, c'est une affaire familiale qui m'amène et je souhaiterais m'entretenir avec un haut responsable pour mettre ma contribution à profit "

Etait-ce la réponse pertinente du jeune homme, son allure toujours aussi fière ou un quelconque effet de magie, toujours fut-il que les gardes le laissèrent passer. Il fut néanmoins escorté jusqu'à une salle où on lui demanda d'attendre. La pièce était sommaire mais étrangement elle paraissait richement arrangée... Seule un bassin trônait en son milieu, une petite fontaine qui rafraichissait les lieux et lui donnait même un aspect accueillant.

Il s'assit sur un des bancs et patienta...

Le soleil avait fait son apparition après des semaines d'une pluie lourde consumant jusqu'à l'âme. Les domestiques n'avaient pourtant pas chômé et, fidèles à leur habitude, avait travaillé d'arrache-pied pour redonner au palais sa splendeur d'antan.

Les marbres cassés avaient été remplacés, les dorures patiemment redorées à la feuille d'or, les sols nettoyés, les jardins entretenus à nouveau... On assistait à une véritable renaissance d'un palais qui avait été en son temps le plus grand et le plus beau de tout le royaume.

Le filet de lumière qui entrait dans la chambre Hangratiale ne laissait rien entrevoir, tant la pénombre provoquée par les lourds rideaux des fenêtres rendait une atmosphère lourde et pesante. On pouvait néanmoins deviner une forme allongée dans le somptueux lit placé très exactement au milieu de la pièce. Un détail retenait l'attention, il s'agissait d'une faible lueur qui ne pouvait être celle du jour. Elle allait et venait, comme si sa source avait été vivante. Sa couleur, indéfinissable aurait jeté le trouble chez tout ceux qui l'auraient regardé...

La grande salle Hangratiale débordait de vie et d'activité. Les domestiques allaient et venaient d'un pas pressé, tantôt tenant des outils à la main, tantôt des plats jonchés de victuailles diverses et variées. On préparait, apparemment un grand évènement, quelque chose de gigantesque mais de terrible aussi. Les domestiques n'étaient ni joyeux ni malheureux, leurs regards semblaient sans vie. Leurs mouvements, leurs gestes, leurs pas semblaient rythmés par un même et unique individu.

Un homme vêtu d'un grand manteau aubergine, la tête couverte d'un capuchon qui masquait jusqu'à son visage.

Qu'on le fasse attendre dans le hall de la salle des armes ! dit-il d'un ton égal, sans intonation aucune. Une voix caverneuse, oubliée...

La salle était arrangée en fonction d'une seule pièce magistrale. Il s'agissait d'une sorte de fontaine en marbre réalisée par les meilleurs sculpteurs de tout le royaume. Elle dessinait les contours d'une belle femme, dont les formes auraient fait rougir un eunuque. Elle se cambrait face à un animal qui ne ressemblait à rien de connu pour le commun des mortels. Ses yeux avaient été représentés par des rubis incrustées d’un rouge profond. Cela donnait une impression malsaine à ce qui restait, du moins, un véritable chef d’œuvre. L’eau qui en jaillissait masquait cet effet aux yeux des visiteurs, et l’on souriait en admirant le son joyeux que faisait l’eau en retombant dans le bassin.

L’être au manteau aubergine entra alors, sans plus de protocole, venant accueillir le visiteur dont on venait de lui parler. Il allait falloir être à la fois subtile et évasif pour ne pas alerter le royaume de la situation dans laquelle la capitale se trouvait.

Et c’était justement la spécialité du Daërline …

Bienvenue seigneur … ?

Seigneur. Ce mot résonna aux oreilles d'Eschelius comme un trophée. Mais... un trophée qu'il n'avait pas... De seigneur il ne possédait rien ou presque. La vieille ferme familiale, une tradition héritée d'un temps passé dont il ignorait tout, une lignée presque perdue et avec un peu de chance une ville qui s'était agrandie sous l'impulsion de quelques amis... Rien de bien intéressant, peut-être avait-il une vingtaine de bâtisses ou moins...
Et pourtant on venait de l'appeler seigneur, comme s'il était un grand... Etait-ce par habitude ? Par désir de flatter l'ego du jeune homme ou par envie de lui donner de l'espoir dans sa quête... Il n'en savait rien et cela le perturba, de sorte qu'il bafouilla, pestant intérieurement contre cette faiblesse passagère.

" Sei... Seigneur ?

Je... je suis désolé mais je ne suis qu'un humble serviteur de l'Hangrateur et ne participe que modestement à la vie des royaumes oubliés... "

Il arriva finalement à se ressaisir, se redressant, fier. Il regarda l'homme devant lui, tentant de croiser son regard, qui lui fût impossible. Il se résigna alors, sans rien dire, à regarder vaguement vers la figure de son interlocuteur, espérant qu'il pourrait par hasard croiser son regard.

" Je venais justement au palais afin de me présenter à lui, j'espérais pouvoir lui proposer mes services afin de l'épauler dans sa tâche. Ma famille était connue en son temps pour avoir contribuée à la grandeur de la capitale et de notre souverain.
J'avais dans l'espoir de redorer le blason familial et de redonner à ma famille la place qu'elle mérite dans notre société. "

Son ambition et sa naïveté, l'avait amené à beaucoup parler, pas trop espérait-il, il ne voulait pas effrayer ce qui devait être un messager de l'Hangrateur. Avait-il pu le convaincre ? Là était le mystère, mystère qui ne tarderait pas à trouver sa réponse...

Le personnage au long manteau fit un signe de la main à l'un des gardes qui était resté en retrait tout ce temps. Celui-ci s'approcha alors d'Aldénor un parchemin à la main. Le sceau Hangratial le scellait et il était richement décoré de dorures. Sans plus de cérémonie, le garde tendit le parchemin à Aldénor.

Prenez Seigneur. Dit-il humblement.

Le Daërline dont on ne voyait toujours rien d'autre que son lourd manteau d'apparat, fit volte face tout en s'éloignant vers la porte par laquelle il était entré.

Ce parchemin vous ouvrira les portes dont vous aurez besoin pour remettre un tant soi peu d'ordre dans le royaume. Je compte sur vous et vous attendrai ici même lorsque ceci sera fait.

La porte se referma sur lui sans qu'Aldénor ne puisse rajouter un seul mot.

Un homme de main lui tendit un parchemin qu'Aldénor ne put qu'accepter. Peut être eut-il fait autrement s'il avais su ce à quoi il s'exposait... Mais quand bien même il n'en aurait pas voulu, aurait-il put y échapper ? En effet, après une simple phrase, l'homme encapuchonné lui tourna le dos et sortit sans le laisser intervenir.
Il resta là, inerte, durant quelques secondes, ne sachant plus quoi faire, comment réagir ou agir. Tout été allé si vite et il ne comprenait ni jusqu'où ni pourquoi...
Finalement, il s'assit afin de lire ce qu'on venait de lui remettre. Il été sensé "remettre un tant soi peu d'ordre dans le royaume" mais ne savait ni comment ni en combien de temps et ne voyait toujours pas pourquoi lui... Il n'était qu'un simple chevalier, être enrôlé dans les armées Hangratrices auraient été largement suffisant.
Il décacheta donc le parchemin et le déroula pour commencer sa lecture.

Après plusieurs minutes de lecture et de relecture profonde, il s'adossa au mur derrière lui et soupira longuement. En effet, s'il se doutait que ce n'était pas un protocole normal pour nommer un garde ou un hastrateur, il était loin d'imaginer la tâche qui devenait dès lors la sienne.
Il recevait l'ordre d'établir dans les Royaumes Oubliés une situation claire et stable et bénéficiait pour cela du statut d'Intendant. Cela impliquait donc la gestion des recrues et de tous les territoires ainsi que la mise en place de lois pour éviter les débordements. De même, il héritait du droit de contrôler les armées hangratiales...

Toutes ces informations lui arrivèrent avec un tel rapprochement qu'il eut du mal à tout comprendre et analyser. Cependant, jugeant qu'il comprendrait mieux après quelques jours et une relecture à tête reposée, il décida de quitter les lieux et de commencer sa mission dès qu'il le pourrait.

Sans se retourner, il sortit du palais, on aurait dit un vieillard arthritique courbé sous le poids des ans et des rhumatismes... Lui, c'était cette pression énorme et soudaine qui en faisait un bonhomme recroquevillé... Il se dirigea alors vers une auberge où il loua une chambre pour trois jours, il retournerait après en son domaine.

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