Notre petit rat, journaliste en herbe, fouinait à la cour à la recherche d'un mur pour publier son article. Pourquoi il ne l'avait pas posté dans la gazette Aguératonnienne ? Il n'en avait pas le droit, il faut dire aussi que Noose avait tenté d'interviewer le grand J.A.P. Rien que ces initiales faisaient frémir les autres journalistes, et même l'intendant en personne s'était opposé à la publication de l'article "Nous en avons assez de lui, il nous a assez donné de fil à retordre comme ça, cela ne sert à rien de rouvrir une polémique à son sujet."
Mais Noose n'était pas comme ça, il ne voulait pas se laisser abattre de la sorte, il voulait que le monde sache ce qu'en pensait Exequatur. Il était décidé à publier l'article à ces risques et périls. Et c'est donc ainsi que nous le trouvons en face d'un mur immense, longeant la place centrale de la cour. Et c'est ici qu'il posta son article, à la vu de tous.
Voici ce que contint l'article, pour ne pas choquer les plus jeunes, certains mots inappropriés ont étés remplacés par une petite étoile.
De nature très curieuse, l'affaire concernant le Juge d'Application des Peines, plus connu sous l'abréviation J.A.P, avait attiré mon attention. En fouillant un peu dans des archives douteuses, je réussis à trouver le lieu de son exil. Après un bref échange de missive, et quelques anciennes connaissances de la Lex fori, je parvins à obtenir l'extrême privilège de le questionner.
Le lieu fixé pour le rendez-vous était très chic, une salle de taille moyenne, volontairement obscure, les murs étaient recouverts d'une tapisserie pourpre, le sol était moelleux, agréable aux pieds, au fond de la salle, le J.A.P, assis jambes croisés, m’attendait sur un fauteuil de velour, cigare au bec, tripotant machinalement la montre en or dans sa main gauche. Son visage,caché dans l'ombre, était invisible. Je ne distinguais que cette fumée dense, si caractéristique des cigares de qualité. Je m’assis en face de lui, déstabilisé. Puis pris la parole.
-"Bonjour J.A.P, je suis très heureux d'être enfin assis en face de vous pour pouvoir vous poser quelques questions.
-Bonjour petit rat, appelle-moi Exequatur, c’est mon nom. JAP est mon titre. Je suis heureux de te voir. Ou plutôt surpris d’apprendre que tu ais osé faire tant de chemin pour rendre visite à l’exilé politique que je suis. Tu risques gros tu sais… ?
-C'est mon métier, ces risques en font partie, je suis prêt à les prendre… Bien, maintenant que les présentations sont faites permettez moi de vous poser quelques questions, je ne vais pas y aller par quatre chemins..
Dans un premier temps, je pense qu'il est primordial de rappeler aux lecteurs qui vous êtes, pour cela je voudrais vous demander ce que vous comptiez faire avec la Lex Fori, la guilde que vous aviez créée, quels étaient vos ambitions, vos objectifs ?
-Ne prend pas "tes lecteurs" pour des *. Nul n’ignore qui je suis. Mais soit, je te parlerai donc un peu de La Lex Fori, puisque tu as l'air de vouloir parler du passé."
Le J.A.P tira longuement et silencieusement sur son immense cigare. J’étais frappé de voir un geste si apaisé alors que du coin de l’œil, je l’apercevais toujours, tapoter nerveusement sa montre. Pour me donner une contenance, je scrutais anxieusement mes fiches, on pouvait s'attendre à tout.
-"La Lex Fori tu vois, c'était la minuscule étincelle de liberté qu'Aguératon ait pu avoir…"
Il marqua une première pause, il avait l’air d’aimer s’entendre parler.
-"J'aime ce mot étincelle, ça représente parfaitement ce qu'il s'est passé. Etincelle, c'est le mélange de la lumière et de l'éphémère. Nous voulions établir par la loi et par la justice un nouvel ordre : botter le * de ces incapables, leur mettre leur nez dans leur * tu comprends ? Non ?
Regarde Eorus par exemple, c'est l'exemple même de l'incompétent notoire : inculte, inintelligent, inintéressant, le charisme d’une chaise, incapable de la moindre objectivité, la liste n’est pas exhaustive, hélas....
Des comme lui, j'en ai des dizaines chargés de nettoyer la * dans mes écuries. Et pourtant, il est intendant. La Lex Fori, c'était lutter contre ça : établir un équilibre juste et tolérant parmi l'équipe hangratrice. Hélas, ça a complètement foiré..."
Un minimum effronté par de tels propos insolents, je me contentais de hocher la tête d’un air entendu. Pourtant au fond de moi, j'étais d'accord avec ce qu'il disait, il n'était peut-être pas en tort après tout, ce J.A.P.
-"Vos propos sont bien insolents, et c'est ce qui a fait votre célébrité, effectivement il est bien connu que, lorsque vous trainiez encore a la cour, vos propos, comment dire… "révolutionnaires ?" parfois un peu trop osés, parfois un peu trop brutaux, déplaisaient à bon nombre de seigneurs. Comment pouvez-vous expliquer ce comportement ? Que vouliez vous faire en vous mettant à dos l'équipe du doux et certains seigneurs ?
-Tu sais Noose, j'aime pas du tout les révolutionnaires, mais alors pas du tout. Je leur * dans la bouche en fait. Si tu répètes que je suis un révolutionnaire, tu finiras sur le croc à boucher. Je vais te donner une version plus précise des choses."
Le J.A.P m'intimidait, il arrivait à proférer ces menaces sur un air tellement détaché… Ne sachant ce que voulait dire croc à boucher, je me contentais de noter que le J.A.P n'était pas un révolutionnaire. Ce dernier s'installa un peu plus confortablement dans son fauteuil puis m'expliqua sa "version plus précise des choses."
-"Commence par te mettre un peu à ma place. Imagine qu'à chacune de tes interventions, quelqu’un vienne systématiquement te censurer d'une façon ou d'une autre, t’empêche de t’exprimer. Tout ça, au nom d'un dogme Herpé complètement dépassé. Tu vois où je veux en venir ? N’est-ce pas ?"
Il fit une nouvelle pause, et se gratta l’entre jambe, peut-être l'un de mes tiques qui s'était logé là.
-"La haine engendre la haine. Le premier sang. Tu connais le légendaire guerrier Jaune Rang Beau ?
Il lui est arrivé la même chose que moi. C'était un marginal qui demandait simplement à ce qu'on le laisse tranquille. Mais parce qu'il n’était pas comme les autres, il dérangeait. Le shérif du village, Willy Té à Sleuh, archétype de cette « bien pensance » est alors venu lui chercher des problèmes. Il vint le chercher et lui demanda de quitter la bourgade. Ce que Rang Beau refusa.
Ce que Té à Sleuh ingorait, c’est que derrière cet homme à l'allure de clodo se cachait une véritable arme de guerre à lui seul, en venant lui chercher des ennuis, il venait de réveiller cette machine de guerre."
Rassurez-vous, moi aussi j’ignorais de quel langue était originaire Jaune Rang Beau ou encore Willy Té à Sleuh, par précaution j’évitai d’avouer à mon interlocuteur que ces noms m'étaient inconnus, mais cela n'était point important, ce qui l'était plus est son exemple au fond. Sa vision des choses avait le mérite d'être. J'allais maintenant arriver au coeur de la discussion...
-"Expliquez moi pourquoi vous avez été banni des terres agueratonniennes ? Qu'a donc fait la machine de guerre ? Qu'a donc fait Willy Té à Sleuh ?
-En venant me chercher des histoires, ils ont amorcé le cercle vicieux de la haine. L'escalade de la violence si tu préfères.
A force d’être bailloné, censuré et trainé dans la boue à chacun de mes mots, la situation était devenue intenable. Je ne disposais tout simplement plus de ma liberté de parole.
Contraint d’inonder la capitale de mes messages, c’était devenu pour moi, l’unique moyen d'avoir l’infime chance que quelqu’un écoute un de mes messages de liberté. Cela n'a évidemment pas plu aux autorités, j'ai été banni. Epuisé, j'ai donc rendu les armes face au totalitarisme et à la connerie humaine, je me suis exilé."
Le J.A.P ordonna à son laquais de nous servir un verre de Tokai, j'acceptai plus par politesse que par besoin, ne voulant surtout pas le contrarier, je sentais que j'avais touché un point sensible, de par ma nature curieuse, je décidai d’introduire un peu plus profondément mon couteau dans la plaie.
-"Comptez vous revenir un jour ?"
Bingo, j'avais vu juste avec cette question ! Le J.A.P, lui, plissa les yeux, du moins c'est ce que mes yeux de rats arrivèrent à distinguer à travers les voluptés de fumée qui cachaient son visage. Il répondit tout de même.
-"Il est hors de question de revenir en Aguératon tant qu'aucune réforme de l'hastration n’aura lieue. Si je devais revenir, les autorités devront rouvrir les portes de mon Royaume jadis si prospère. Vous pourrez toujours attendre. L’Hangrateur et son adjoint sont devenus des fantômes, une raison supplémentaire m’ayant conduit à choisir l’exil.
Pour l'instant je reste donc en dehors de vos histoires. Toutefois, je peux vous indiquer qu'un comité de soutien a été créé. Ce sont des seigneurs qui m’ont rejoint dans la volonté de changer cet ordre établi. C'est le comité indigo. Vous ne connaîtrez pas l’identité de ces membres. (avait-il remarqué mon haussement de sourcil ?) Avec ou sans moi, ils ont bien l'intention de réussir là où la Lex Fori a échoué."
A travers la pénombre, je devinais un petit rictus sur le visage du J.A.P, Quant à moi j'avais bientôt fini mon entretien. Une dernière question me vint à l'esprit.
-"Qu'en est-il de votre trafic de prostitués et de ********* ?
-J'ai pas mal de gérants qui s'occupent de faire tourner le business en mon absence. Pour les putains et la ********, un associé administre les réseaux. (Il me tendit une petite carte vernie) Tu as son adresse là-dessus, dis lui que tu viens de ma part, il te fera moitié prix sur les femmes et 10% sur la********.
En tout cas, ne te fais pas de soucis de ce coté là, je sais que tu es un client fidèle Noose, et je peux te garantir que mon commerce va pour le mieux."
La discussion prit fin, le J.A.P me mit gentiment à la porte et la ferma, me laissant seul, devant sa préstigieuse demeure.
Une discussion étrange, mais très fructueuse en arguments, c'était le moins que l'on puisse dire. Exequatur n'avait sûrement pas dit son dernier mot. Que l'on soit d'accord ou non avec ses idées et ses manières, le J.A.P était sans nul doute un seigneur original qui risquait de faire couler encore beaucoup d'encre.
J'avais rencontré un illuminé, un illuminé traité comme un paria finalement.
Noose,
Journaliste indépendant.
Une fois affiché, Noose s'écarta, et observa la scène, nombreux seront les seigneurs à venir voir l'article, nombreux seront ceux qui l'insulteront, mais certains, certains y verraient de l'espoir...
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