La nouvelle était parvenue à la jeune souveraine il y avait seulement quelques jours. Morticia, tacticienne de son état, avait très vite compris les enjeux que cette subite guerre civile pouvait représentée. Réunissant les généraux en qui elle avait confiance, elle regarda la carte du monde d'un air réfléchit, le regard lent et appliqué.
La jeune régente connaissait la position difficile dans laquelle se trouvait son royaume, depuis peu en paix grâce à son enrôlement au sein de l'Avallon Lumbë, mais aux soldats et à la population fatiguée par deux ans de guerre. Malgré cette relative faiblesse, Morticia savait qu'il était de son devoir d'aider les autres membres de sa guilde qui combattaient pour que le Doux conserve sa place. Il ressortit d'une longue discussion avec son conseil de guerre l'intérêt de porter secours au Doux. La récompense pour l'aide apportée par le royaume serait peut-être rendue au double ou au triple.
La jeune adolescente sourit avec froideur. Ses généraux se lancèrent des regards inquiets. Tout le royaume connaissait les sautes d'humeurs de l'enfant qui n'avait eu aucun scrupule à éliminer sa propre mère pour monter sur le trône. Ce fût un messager de son royaume qui rompit le silence et les inquiétudes. Apportant une petite missive cachetée, la reine l'ouvrit et se mît à rire. Un des officiers cogna son genou contre la table, ne pouvant contenir un spasme de peur. Il savait que lorsque sa reine riait ainsi, elle venait de décider quelque chose dont elle était fière. Et dans la plupart des cas, ce n'était pas une bonne nouvelle pour les généraux et les soldats.
La jeune fille prît une petite figurine de bois, qu'elle posa sur un emplacement de la carte. Le petit pion indiquait une petite vallée à une vingtaine de lieux de la capitale, la vallée de Glasnost. Deux autres pions de couleur bleu, bougèrent subitement par eux-même, contrôlés par télékinésie par la souveraine qui souriait toujours silencieusement. Les généraux regardaient la carte avec angoisse, quel plan allait-elle mettre en place ?
Le pion rouge, le premier posé par la souveraine, bougeait vers la vallée. Quelques instants plus tard, les deux autres pions, opposés de par leurs positions prenaient en tenaille la figurine rouge en plein milieu de la vallée. Soudain, le pion rouge vola en éclat par magie. Les généraux sursautèrent et regardèrent, inquiets, la jeune fille, qui souriait toujours de façon aussi...glaciale.
Sortant de son mutisme inquiétant, la reine prononça ses consignes d'une voix étrangement calme :
Préparez les hommes. Des bandits portant le blason du seigneur Xalendan se dirigent droit vers la capitale, en oubliant la plus élémentaire règle de prudence : ne jamais passé par Glasnost. Dîtes à vos hommes que je leur offrirais la plus belle victoire qu'ils n'ont jamais eu.
A peine son petit discours achevé, les généraux prirent congés de leur régente (le plus vite possible) et préparèrent à contre-cœur leurs troupes pour une nouvelle guerre.
Morticia resta seule avec sa dame de compagnie, une jeune elfe de dix ans plus âgée qu'elle, fixée sur la carte. Arborant cette fois un sourire plus rassurant, elle regarda son aînée et s'approcha d'elle. Elle colla ses lèvres contre les siennes, recula, puis lui donna une consigne avant de disparaître par magie.
Va réveiller Kriktus, et dit lui que sa maîtresse lui offrira beaucoup de divertissement.
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Deux jours plus tard, les armées de Verestrie étaient prêtes. Morticia avait préparé la bataille pendant toute la nuit, et sereine, admira sa belle armée avec une fierté non dissimulée. Protégée par deux golems de fer aux regards vides équipés de gigantesques épées à deux mains, la monture de la régente se mît enfin en marche. Les armées, constituées d'elfes aux armures sombres et aux arcs en ébène, marchaient aux pas, motivés par des cornes de brumes au bruit sombre et rauque.
Une lune passa, et bientôt la sombre armée était en position, gorges éteintes. Aguératon offraient au soldat des plaines à perte de vue et un ciel orageux qui menaçaient de faire tomber sur eux la pluie de la victoire. Elle serait rouge et glaciale. La vallée de Glasnost offrait aux combattants une topographie inégale et une route centrale dégagée de tout obstacle, mais à la merci de deux collines qui la ceinturaient à l'est et à l'ouest.
N'importe quel stratège ne pouvait négliger un si bel avantage tactique. Un messager elfe vînt apporter de bonnes nouvelles à la chef des armées : les bandits semblaient pressés et leurs généraux font une marche forcée. Morticia en déduit qu'ils devaient arriver à la capitale pour soutenir au plus vite les troupes rebelles en proie avec une résistance de la garde impériale.
Morticia calcula le temps qu'il lui restait pour préparer son armée. En une heure, elle devait faire en sorte que ses soldats se mettent en place. Disposés équitablement de chaque côté de la vallée, prenant en tenaille les arrivants imprudents, les ennemis n'attendaient sûrement aucune résistance dans ses terres où la majorité des royaumes avaient rejoint la rébellion en cours.
L'armée sombre était prête, couchée sur le sol, recouvert de plantes ou d'herbe, le mieux dissimulé possible des adversaires. La majorité des hommes étaient nerveux, mais l'apparente sérénité de leur reine les rassuraient. Machiavélique et réfléchit, ils savaient qu'elle ne les lançaient pas dans une bataille perdue d'avance.
Le crépuscule tombait lentement sur les plaines proches de la capitale, et bientôt une armée apparût au loin. L'éclaireur avait fait une estimation peu rigoureuse. Il en avait annoncé environ 1500, mais en réalité ils devaient être facilement mille de plus. L'armée de Verestrie comporterait donc deux fois moins d'effectifs. Mais rien ne semblait inquiéter la souveraine. Elle possédait des subterfuges qui compensaient très largement cette apparence faiblesse. La magie était avec elle, mais surtout, elle avait Kriktus.
Elle rit doucement et baissa sa capuche. S'installant en tailleur, elle commença à murmurer des paroles dont sa compagne ignorait tout simplement le sens. L'armée ennemie était là, et s'enfonçait dans la vallée...
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Le général bandit regarda le ciel. Il jura, voyant que celui-ci commençait à lâcher sur son armée les premières gouttes de ce qui semblait être une grosse intempérie. Il ordonna a ses hommes d'avancer encore plus vite, ne voulant pas que sa cargaison spéciale pour la capitale ne prenne l'eau. De l'huile bouillante, des balistes, des catapultes, des arcs et des munitions. Tout ceci n'aimait pas l'eau, et les cordes pourraient se détendre et ne pas produire l'effet escompté.
Une fois au milieu de la vallée, il fût prit d'un étrange pressentiment. Le ciel se comportait étrangement, et la température enfin, semblait chuter. En armures légères, les soldats commençaient à greloter. Le général pensa que la vallée de par sa topographie et sa situation géographique offrait des variances de températures selon l'exposition au soleil et au vent.
L'armée s'arrêta soudain. Surprit qu'on s'arrête en plein milieu de la vallée, il rejoignit la tête de son armée pour connaître la cause de cet arrêt.
Que ce passe t-il ? REPRENEZ LA MARCHE ESPÈCE D'IDIOTS !
Mais bientôt il s'arrêta aussi, regardant l'horizon. Il aperçut une silhouette lointaine, deux fois plus grande qu'un homme, visiblement dans une très grosse armure. Ce guerrier au loin attisait la méfiance des soldats et du général. Soudain, un cri se fît entendre.
Ce n'était pas humain.
Ni animal.
L'échine des soldats se glaça. Le guerrier venait d'hurler avec une voix rauque et aussi portante que si une armée d'une dizaine de millier d'hommes poussait un cri de guerre. Mortica se mît à rire, amplifiant par magie la voix de son meilleur guerrier, Kriktus. Il n'était pas humain. Il n'était même pas vivant d'ailleurs. Assemblé par Morticia quand elle eût dix ans, à partir de morceaux de cadavres et de fonte, elle avait donné une conscience bestiale et meurtrière à cet expérience. Il ne connaissait ni la pitié, ni la peur.
Armée de deux puissantes masses d'arme, le monstre fonça soudain sur l'armée avec une vitesse impressionnante, poussant avec la même puissance son cri terrifiant. L'armée de bandit, effrayée mais néanmoins téméraire, se mît en position, ne prenant quand même pas très au sérieux l'attaque d'un seul homme contre une armée entière. Alors qu'ils se mettaient en position, beaucoup des soldats chutèrent, glissant sur quelque chose recouvrant le sol.
Qu'est-ce que...du verglas ? Au printemps ?
Se mettant difficilement en place, les hommes du général virent Kriktus aux lourdes bottes avec crampons ignorer le terrain glissant et foncer sur eux . Le bruit de son cri s'intensifia alors qu'il s'approchait des premières lignes adverses. C'est avec une brutalité extraordinaire qu'il explosa la tête des premiers soldats qu'il rencontra. Les bandits foncèrent sur lui, mais le gigantesque bestiaux ne semblait pas subir la douleur. Avec une vitesse démoniaque, il brisait les crânes de ses ennemis tout jetant l'un d'eux sur un petit paquet de troupe à quelques mètres.
La régente, concentrée dans ses invocations, laissa sa dame de compagnie envoyer le signal aux elfes embusqués. Se levant enfin après une longue attente, les troupes prirent leurs arcs et firent feu nourri sur les troupes en contrebas. Le général retranché à l'arrière hurla qu'on riposta.
Une goutte tomba sur la tête nue du général, puis se fût une véritable dépression qui s'abattît sur l'armée rebelle encore nombreuse et avec encore une once de courage. Se regroupant, ils armèrent les catapultes et firent feu. Les projectiles tirés avec habileté tuèrent une bonne cinquantaine de Verestriens. Mais bientôt, la pluie s'intensifia, et changea de consistance. De la grêle tombait maintenant sur la vallée, empêchant les soldats piégés de regarder en haut pour viser le gros des troupes ennemis qui les tiraient comme des lapins.
Le moral baissa à un point critique. Kriktus ne s'arrêtait pas, et le devant de l'armée pillarde paniqua devant cet être démoniaque et finît par reculer vers l'arrière de l'armée. Les deux flancs de l'armée, meurtris de flèches, voyaient leurs troupes mourir à petit feu. Le verglas enfin, n'arrangeait rien, blessant les couards qui tentaient de s'enfuir.
Les armées de Morticia continuaient de tirer, mais une partie des archers dégaina leurs épées et avançaient vers ce qu'il restait des troupes adverses, criblées de flèches, morts piétinés par les autres, la cervelle répandue par terre, certains même morts de peur. Une centaine d'hommes pouvaient encore faire face, mais ils sortirent tant bien que mal le drapeau blanc voyant leurs ennemis frais et prêt à en découdre avancer lentement pour donner un effet supplémentaire de terreur.
La grêle lentement s'arrêta et Kriktus, finissant d'achever quelques blessés à coup de bottes et de masses dans des cris de douleurs vite étouffés, se retira. Les flèches cessèrent de siffler dans les oreilles des soldats acculés, et un calme angoissant apparut dans la vallée où gisaient nombre de cadavres.
Les armées cessèrent les combats, et les vainqueurs amenèrent les survivants face à leur reine.
Morticia, visiblement éprouvée par tant de magie ainsi lancée, regardait avec fierté le résultat de la bataille. Une victoire éclatante, à peine cinquante tués de son côté, et en face plus de deux milles morts qui pourrissaient dans la vallée. Les survivants, à genoux, entendirent la responsable de ce carnage parler d'une voix sombre et glaciale.
Vous m'avez bien divertie, misérables larves. Votre cause est vaine, tout comme votre volonté de survivre. Craignez mon nom désormais, car la rébellion devra m'affronter et payer le lourd tribut de la défaite.
Quant à vous, je vous laisse la vie sauve. Mais votre punition pour m'avoir combattu sera...
Des chuchotements de soulagement parcoururent le petit groupe de perdants pendant les premiers mots de la reine. Mais bientôt des cris de douleurs se firent entendre.
Les soldats vaincus voyaient lentement leurs membres se glacer. La douleur éprouvée par ce sort lent était forte, car le froid gelait un muscle après l'autre. L'armée de Morticia baissa les yeux ou détourna la tête, livrée encore une fois à un spectacle cruel de leur maîtresse.
Quand tous les soldats adverses furent pétrifiées dans la glace, Morticia finit sa phrase.
...de garder cette endroit pour l'éternité.
Les troupes de Morticia quittèrent lentement le champ de bataille, effrayés par l'attitude de leur maîtresse, mais soulagés que la bataille soit aussi éclatante. Ils savaient néanmoins, que la prochaine le serait peut-être beaucoup moins...
En route vers la capital, laissant les morts pourrir à l'air libre, Mortica regarda fixement l'horizon, apercevant déjà les murs de la grande cité...